It tells you how to desire

Slavoj Žižek : 'Cinema is the ultimate pervert art. It doesn't give you what you desire - it tells you how to desire.'

aquarelle sur papier 21 x 30 cm

Jessica Rabbit, cellulose désir.

1. It tells you

Dans Who Framed Roger Rabbit cette citation de Zizek prend chair en Jessica Rabbit. Ou plutôt : elle prend image.

Jessica Rabbit n'est pas qu'un personnage, elle est une surface : une couche de peinture sur un cellulose, lui-même, superposé à l'image filmée.

Elle est un mirage lumineux sans chair et sans corps.

Elle est le creuset du désir. Point cardinal du film.

Jessica Rabbit démontre la nature profonde du cinéma : il ne reflète pas le désir, il le fabrique.

Elle condense le code érotique hollywoodien : la robe rouge, la lumière qui glisse sur sa forme, la lenteur du geste, la voix qui caresse. Elle est littéralement ce que représente un fantasme, elle est un archétype. Elle n’existe que dans le champ du cinéma, comme une condensation de tout ce que le cinéma a appris à rendre désirable.

Mais le paradoxe est que nous la désirons à cause de cette irréalité.

Jessica n’est pas atteignable, elle est pure apparence.

Elle incarne le cinéma dans sa forme la plus nue : le dispositif qui se désire lui-même.

Regarder Jessica, c’est regarder le cinéma en train de rêver sa propre image.

2. La trrrreempette

Dans cet univers d’images immortelle, surgit la Trempette. Un bain chimique capable de dissoudre les Toons jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
La Trempette n’est pas seulement la seule façon pour un Toon de mourir : elle est la seule castration possible d’un être de jouissance totale.

Les Toons jouissent sans limites : explosions, chutes, brûlures, rien ne les atteint jamais vraiment. Ils sont l’incarnation de la jouissance pure, de la répétition infinie, d’une existence pré-symbolique et pré-mortelle.

La Trempette introduit la limite, la finitude, la confrontation avec le réel.

Elle devient la matérialisation de l’angoisse absolue : la peur de la disparition, le retour à la matière brute, à l’inanimé, la peur de l’inconnu.

Freud y verrait la pulsion de mort : la force qui pousse toute vie vers son retour à l’état inorganique.

Lacan y verrait la castration, le principe qui introduit le manque et fait naître le sujet.

Avant la Trempette, les Toons ne désirent pas : ils jouissent.

Avec la Trempette, la jouissance rencontre sa fin, et le manque devient possible.

Ainsi naît le désir, là où il n’y avait que l’extase.

Jessica Rabbit, en ce sens, est à la frontière :

elle est le Toon conscient de la Loi, du réel de la mort. Elle sait qu’elle est une image, elle connait sa limite : la limite de la projection.

Elle sait qu’elle peut mourir.

Sa beauté, son érotisme, son éclat rouge deviennent des figures du désir teinté d’angoisse : la limite même de la jouissance.

3. 24 Thanatos

« La photographie, c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde.. »

— Jean-Luc Godard

Chaque photogramme est une petite mort : figer le vivant, le saisir pour l’éternité, c’est déjà le condamner.
Dans Roger Rabbit, la Trempette matérialise cette vérité : ce bain chimique efface le Toon, mais révèle surtout ce que le cinéma tente d’oublier — que chaque image porte sa propre fin.

Jessica Rabbit traverse cette loi :
elle vit vingt-quatre morts par seconde, chaque photogramme la sauvant et la condamnant à la fois.
Elle est le spectre du désir, la survivante d’extinctions successives, l’éclat qui illumine sa propre disparition.

Le cinéma devient alors un art funéraire amoureux :
il embrasse la disparition pour la rendre visible,
fait de la mort une lumière, du manque un objet de plaisir.

La Trempette, dans ce cadre, est la castration du Toon et du cinéma :
la loi qui introduit le réel dans le fantasme,
le rappel que derrière la lumière du projecteur et la jouissance du regard, il y a toujours la matière, et derrière la surface, la mort.

Jessica Rabbit et la Trempette, désir et limite, Éros et Thanatos, deviennent ainsi les figures d’un cinéma conscient de sa propre fragilité :
le cinéma qui montre comment désirer tout en sachant que tout, inexorablement, va disparaître.

Le cinéma est pervers : il nous fait jouir de la mort.

Dessin

Setsubun

顔彩耽美 / gansai tambi sur papier 36 x 48 cm